le pire et le meilleur
Mon mec est
aux petits soins. On est prêt pour l’arrivée de notre petit pois. Il va nous
rejoindre plus tôt que prévu. On s’en doutait. Ces jours-là, on vit dans une
bulle. Mon homme et moi on est bien. Même si c’est long. Même si c’est
chaotique. Même si je souffre. Même si ça ne ressemble pas du tout à ce qu’on
attendait. Le dernier mois est plus qu’éprouvant. Mon homme assure. Il est là.
Il est présent. Il me soutient. Lors d’un de nos nombreux passages aux urgences
obstétricales, on se met d’accord. Ce petit asticot sera le dernier locataire
de mon bidon ! la famille sera au complet. Nous 4. C’est parfait.
Après un mois
d’angoisse et de douleurs, de contractions à couper le souffle quasiment en
continu, après la menace d’un accouchement prématuré, une hospitalisation de
quelques jours, des traitements de cheval pour moi et pour que petit pois soit
aussi prêt que possible, les contractions cessent. Bien sûr, on a passé le cap
des 37 semaines d’aménorrhée. S’il arrivait maintenant ça serait nickel !
mais non. Petit pois a décidé de rester au chaud encore un peu. Malheureusement
ce n’est pas vraiment possible. L’accouchement est programmé.
On débarque à
la maternité. C’est mon sage-femme préféré qui nous accueille. Ça me rassure,
c’est bon signe non ? je vais revivre un déclenchement. Je sais qu’on en a
pour un moment. Mais bon, je me dis que c’est un deuxième : ça pourra pas
être plus long que pour ma première.
Ricanement !
en plus avec
la modification de mon col de l’utérus dès 4 mois et le max de contractions du
dernier mois, avec un peu de chance ça sera même presque rapide.
Ricanement
tellement plus fort !
En attendant,
on va profiter de cette petite bulle avec mon mec. Un moment rien qu’à nous. Et
malgré les douleurs et l’attente on est bien. La journée est longue. La nuit
encore plus. Je ne ferme quasiment pas l’œil de la nuit. Je marche, je m’étire,
je me douche, je m’allonge. Pas trop longtemps, allongée, c’est pire. Et je
recommence.
Je compte les
minutes.
On m’a dit
hier qu’à 8h, j’irai en salle d’accouchement. J’aurai mon bébé bientôt. Le
matin arrive.
Enfin.
Ça fait 24h de
contraction. J’en peux plus. On me demande d’enlever le tampon de propess, car
ça y est, il est l’heure de monter. Mais il n’y a pas que le matin qui arrive.
Il y a aussi une multitude de femmes dilatées à 8 qui débarquent à la maternité
et qui me grille la priorité. A ce moment, je les déteste toutes. Toute la
matinée, je sens mes contractions décroitre. Moins fortes. Moins régulières. Je
sens le découragement pointer le bout de son nez. J’ai pas fait tout ça pour
rien !
vers 13h, ça y
est j’en ai ras le bol. Je dis à mon mec que je veux rentrer chez nous. Qu’on
reviendra le lendemain ou même plus tard. je sens bien que les choses ne se
passent pas comme elles le devraient.
Je veux me
barrer.
C’est à ce
moment que j’entends une voix dans le couloir dire que la 12 peut monter. 12
c’est mon numéro de chambre. Finalement je verrai peut-être mon bébé dans
quelques heures. Je regarde mon homme. Il sourit. Moi aussi.
on est bien
tous les deux. On y est. On va faire la connaissance de notre petit bébé. La
sage-femme qui nous accueille en salle d’accouchement est une véritable harpie.
Déjà, quel âge elle a ? elle devrait pas être à la retraite ? mais je
m’en fous. Ça y est.
Bientôt mon
bébé.
On est bien
tous les deux. Je suis branchée. Perfusée. Alitée. Immobilisée. J’ai
l’impression d’être une machine au milieu des autres machines. Une sorte
d’incubateur. En tout cas pas un être humain. Mon accouchement ne ressemblera
pas à ce que je voulais. Je me fais une raison. C’est pas grave. L’essentiel
c’est que je connaisse mon petit ninja qui me savate le ventre depuis des mois.
Mon mec est là. On est bien malgré tout. Le temps passe. Tiens ça y est, à
cette heure-là, j’avais mon aînée dans les bras ! ça sera plus long donc.
C’est pas grave. Bientôt mon bébé.
Le temps
passe, les procédures se suivent.
Ocytocine,
monitoring, prise de tension.
Je ne peux
rien faire. Je n’ai même pas le droit de me mettre debout. Encore moins d’aller
pisser. Je vois bien que je l’emmerde cette connasse de sage-femme avec mes
demandes. Rien d’extravagant pourtant. Juste d’être piquée à droite car je suis
gauchère, histoire de ne pas entraver encore plus mes mouvements. Juste de
porter un t-shirt en coton plutôt que leur blouse pour limiter mes
démangeaisons liées à la cholestase. Juste de ne pas dire le nom de mon bébé
avant sa naissance. Juste pas de péridurale tout de suite et peut-être même pas
du tout. Elle me regarde avec des yeux de merlan frit. Elle soupire même je
crois. Ou elle l’a peut-être pas fait. Mais elle l’a pensé tellement fort que
je l’ai entendu ! bon mon accouchement ne ressemblera pas à ce que je
voulais. Je me fais une raison. C’est pas grave.
Bientôt mon
bébé.
Si je peux
même pas aller pisser, pas moyen de pisser dans son bassin devant mon mec.
C’est bon, de toute façon, je peux pas. Je demande la péridurale. Ça va. Les
contractions sont plus que supportables. Bien plus que cette nuit d’ailleurs.
J’ai bien essayé de l’expliquer à la sage-femme. Mais bon, je vois bien qu’elle
s’en fout et finalement un incubateur qui parle à part faire bip bip bip, ça
n’apporte pas d’informations bien importantes. Mon accouchement ne ressemblera
pas à ce que je voulais. L’anesthésiste me pose la péridurale. On rit. Avec mon
mec on est bien. Quelques minutes après, je perds les eaux. J’appelle. C’est
bien le travail continue.
Bientôt mon
bébé.
Mais pas trop
quand même. Si ça pouvait attendre 20h le changement de garde, je serais pas
mécontente en fait…
Le temps passe
et le travail stagne. Le médecin passe. J’ai le droit à un tas d’examens pour
essayer de comprendre le pourquoi du comment. J’oublie encore plus l’idée de
pudeur quand le gynéco se ramène avec ce qui ressemble à un sabre laser et une
lampe frontale. On en rit même avec mon mec. Je crois que la péri ça me shoote
un peu. J’ai l’impression d’être défoncée ! l’autre conne pense que je me
suis pissé dessus et que je n’ai pas rompu la poche des eaux. Bah je sais pas
connasse, t’avais qu’à vérifier que c’était bien du liquide amniotique et pas
de l’urine tout à l’heure en fait. C’est un peu ton boulot aussi… sonde. Vessie
pleine. A priori je ne me suis pas fait dessus. Elle veut percer la poche des
eaux. Elle arrive avec son crochet. Elle n’y arrive pas. le médecin nous explique que ça sera sûrement
une césarienne si les choses n’avancent pas dans les prochaines heures. Il est
sympa. Il est un peu loufoque mais il inspire confiance. La sage-femme lui
demande de tenter de percer la poche des eaux lui-même.
Bientôt mon
bébé.
Malgré cela,
avec mon mec, on est bien tous les deux. Le médecin finit par réussir à percer
la poche des eaux. Tout à l’heure ce ne devait être qu’une fissure.
ça s’accélère.
ça devient
irréaliste.
j’ai si peur
d’un coup.
Une peur qui
te dit que peut-être tu ne rencontreras jamais ton enfant.
Tout ça ne
dure pas plus de 15 minutes avant qu’il ne m’endorme pour pouvoir littéralement
arraché mon bébé de mon ventre.
J’ai peur.
J’ai pas
craqué avant.
J’ai entendu
le gynéco paniquer : « oh putain, merde merde merde ! code
rouge ».
mais non,
c’est pas possible.
Il peut pas
dire ça lui.
Il a pas le
droit de paniquer.
Si lui il
panique moi je fais quoi ?
j’ai vu toute
l’équipe de la mater débarquer en quelques secondes. Je pensais même pas qu’ils
pouvaient être si nombreux. A la fois il est presque 20h. le changement
d’équipe n’est pas loin. Du coup, il y a tout le monde. Moi qui ai attendu et
attendu de pouvoir monter en salle d’accouchement pour la suite du protocole de
déclenchement et qui me suis vue doubler par toutes les femmes enceintes
jusqu’aux yeux arrivant prêtes à pondre leur marmot ! moi je réquisitionne
tout le personnel !
j’ai entendu
des mots : « procidence du cordon ».
j’ai compris.
Je savais que
mon bébé risquait de s’asphyxier dans les minutes qui allaient suivre.
Je savais.
Ce n’est pas
possible. Ce n’est pas en train de m’arriver !
J’ai senti les
doigts du médecin pousser sur la tête de mon bébé malgré la péridurale. Il
fallait faire un échange. Pas pratique de pratiquer une césarienne quand on a
la main à l’intérieur du vagin de la future maman. Petit moment de flottement.
On fait ça où ? ici ?au bloc ? qui prend le relais ?
moment qui me
semble interminable.
Je vois mon
sage-femme. Celui qui nous a accueillis la veille. Celui qui était là lors de
mon hospitalisation. C’est lui qui se propose. Ouf. En lui j’ai confiance. Il
me rassure. Il est là. J’oublie toutes douleurs. J’oublie toute pudeur.
Ils attendent
la fin d’une contraction et je me retrouve avec deux mains à l’intérieur de
moi.
Je suis
ailleurs et j’ai tellement peur.
Il faut aller
au bloc.
Mon sage-femme
grimpe avec moi sur le brancard. A genous entre mes jambes. Y a du sang, du
liquide amniotique. Partout. Ça gicle. On se croirait dans un épisode grey’s
anatomy. Sauf que la patiente c’est moi. Mon mec ne peut pas nous suivre. Mais
il est là quand même. Alors qu’ils m’emmènent, je l’entends me dire « je
t’aime, je suis là. Tout va bien se passer ». ou quelque chose du genre.
Enfin, il me dit juste ce qu’il faut. Ça me fait du bien l’espace d’une
micro-seconde. Je respire. Je garde mon calme autant que possible. Je prie
aussi je crois. Ouais, moi, je prie… mon sage-femme me parle tout doucement. Je
me raccroche à sa voix . « t’inquiètes pas, je sens le pouls de ton bébé
battre dans le cordon ». On m’installe sur la table d’opération. Nouveau
changement de position. Nouvelle giclée de sang et de liquide amniotique. La
connasse de sage-femme qui m’a accompagnée tout l’après-midi me fait gentiment
remarquer qu’elle m’avait prévenu que j’aurais pas dû demander la perf à droite
plutôt qu’à gauche car l’anesthésiste installé à gauche de la table d’opération
doit changer de côté. Elle m’aura vraiment fait chier jusqu’au bout celle-là.
Je lui réponds, je ne me laisse pas faire mais je sais pas où je trouve la
force de le faire aussi poliment. Ou c’est peut-être de la faiblesse plutôt. La
faiblesse de ne pas lui dire d’aller se faire foutre. Le gynéco me demande le
nom de mon bébé. Je lui dis à travers mon masque à oxygène. Il faut que je dise
son nom. Il faut que je le nomme auprès des autres.
Et puis je
m’endors.
A mon réveil,
je demande des nouvelles de mon bébé.
Il va très
bien.
Il est avec
son papa.
Et c’est là.
Maintenant.
Je m’effondre.
J’ai jamais eu
aussi peur de ma vie.
Je le
rencontre enfin ! il est parfait ! je l’aime si fort ! j’ai eu
si peur !
et c’est le
début d’un jour sans fin dans ma tête. À chaque fois que je ferme les yeux, je
revis chaque instant, chaque minute. Je vois, j’entends, je sens. Alors je ne
ferme plus les yeux. Je ne dors pas. Je regarde mon enfant.
C'est beau, touchant, magnifiquement écrit...
RépondreSupprimerJ'avais pourtant déjà lu ce texte tellement émouvant sur la naissance, j'en ai encore la chair de poule et les larmes qui coulent les unes après les autres...
Bravo et merci de nous faire partager ce que Béné dicte...💜💜💜