KA MATE
Cette histoire commence à la poste pour retirer du liquide.
Non.
Cette histoire commence avec un fusil de chasse pointé entre
les yeux.
Non.
Cette histoire commence avec une clé rangée dans le
pare-soleil.
Non.
En fait, elle commence par un match de rugby.
Et puis par un championnat.
Par contre aucune idée du résultat. Il paraît qu’ils ont
gagné…
Il s’est remis au rugby. Il a le physique. Petit. Trapu. Le
nez pété. Ça colle bien. Ça fait du bien de reprendre le sport !
Il s’est remis à la 3ème mi-temps aussi. Faut dire
qu’il a jamais vraiment arrêté, et c’est par la 3ème mi-temps qu’il
a rencontré ses nouveaux acolytes.
Y a une super équipe. Très bonne ambiance. Ça gueule. Ça
chante. Ça se met des tapes dans le dos. Ça picole. Chansons paillardes sous anis.
Tout en finesse. Rugby quoi…
Il s’investit dans le club. Ils ont même fait de lui le
trésorier ! Des génies !
C’est la fin de la saison. La tradition c’est de fêter ça
quelque part perdus en plein milieu de la France, dans un trou paumé. Sûrement
dans la Creuse. Ils ont trouvé un gîte pas cher, une ancienne boîte de nuit au
milieu des champs. Mais pas loin du gîte où ils crèchent, y a un petit village.
Et dans ce village y a un troquet, enfin un PMU/tabac/presse/poste/charcuterie.
Et puis pas loin version rugbyman… Faut marcher quand même un brin.
Ils ont retourné le bar. Vidé les fûts. Pompé dans les
réserves. Fait le chiffre d’affaires de la taulière pour le mois voire pour
l’année. Il paraît que grâce à eux, elle va pouvoir partir en vacances cette
année-là. Y a plus rien à boire. Plus rien. Plus une goutte d’alcool. C’est
l’heure de rentrer.
La soirée se termine. Il fait nuit. Il faut payer. C’est lui
le trésorier, donc il s’acquitte de sa mission. Il part avec le dernier wagon. Mais il a envie
de pisser. Il prévient avec un vague « attendez-moi les gars ». Vu
l’état, la phrase ressemblait plus probablement à « attt… ils sont
où ? ». Se sont mis en route sans lui. Pas grave. Il se souvient du
chemin. C’était à gauche. C’est sûr. Et sûrement qu’en coupant à travers champ,
tout droit, à vol d’oiseau, le gîte est : en face. Il est saoul comme un
rugbyman. Le concept du tout droit est fluctuant. L’idée de passer par les
champs sans lampe frontale et plus de batterie dans son téléphone est une idée
de génie. Il se paume. S’empale sur des barbelés. Saigne. Tombe. Se retrouve
nez à nez avec des vaches. Il voit au loin une grande bâtisse et décide de s’en
rapprocher. Il glisse. Dans une fosse à purin. Quand on touche le fond il y a
toujours une fosse à purin pour tomber encore plus bas. Les distances sont
interminables.
De l’autre côté du champ, c’est pas du tout le gîte. Mais il
y a une ferme. Et 2 voitures. Une neuve. Belle. Une range rover. Et une
vieille. Rouillée. Une BX.
il est fatigué. Il veut rentrer se coucher. Et bourré, c’est
pas une flèche. Il se dit que ces voitures c’est un signe ! elles
n’attendent que lui comme pilote chevronné. Il essaye d’ouvrir la première.
Fermée. Il essaye la deuxième. Yalla! Il rentre. Il se pose au volant. Avant de
commencer à vouloir la faire démarrer avec les fils version « petit caillera de
la campagne », il ouvre quand même le pare-soleil au cas où. La clé lui tombe sur
les genoux. Avec son cerveau infusé au pastis, il est sûr que ça aussi, c’est
un signe. Et puis il en a marre, il est dégueulasse, il pue. Même complétement aviné, il s’en rend compte. C’est décidé, il rentre en caisse. Avec la BX. Il la ramènera
demain à son propriétaire. De toute façon, si elle est sur son chemin c’est
qu’il y a une bonne raison !
Il démarre. Passe la première. Est-ce qu’il a allumé les
phares ? Même pas sûr. Fait 500 m. Se prend un talus. Normal. La voiture
est coincée. Il continue à pied, rongé par la culpabilité. En longeant la
route, il finit par arriver au gîte.
On pourrait se dire que l’histoire finit ici.
Mais non.
Car c’est un génie ! Et son deuxième prénom c’est
Belzébuth. Et que l’enfer est pavé de bonnes intentions. Il prend donc la
voiture d’un pote, va sortir la BX du talus et la remettre à sa place. Genre ni
vu, ni connu. La voiture est juste ravagée.
Assis au volant, il ferme les yeux. Juste 2 min. Parce que
franchement, il est crevé.
2 min ou 2h plus tard. Il se retrouve avec un fusil sur le
front. Et au bout du fusil, un paysan somme toute, mécontent.
Va falloir s’expliquer très vite. Il sort les mains en
l’air, couvert de purin, de sang, d’alcool et de gerbe : « je peux
tout vous expliquer ». Cette phrase
n’annonce jamais quelque chose qu’on peut comprendre aisément. Et il pense tout
bas : heureusement que l’autre voiture était fermée !
Il se retrouve chez l’agriculteur furieux à prendre l’avoiné
de sa vie. Mais avec un café quand même. En joue avec un fusil. Mais un p’tit
café quand même. On est pas des sauvages dans la Creuse.
Va falloir acheter la BX. Sinon c’est les flics qui
débarquent. Pfff… pas fun…
Le fermier l’accompagne jusqu’à la poste. Moins 800 balles sur
son compte en banque. Il a vidé son livret A ! Pas moyen de faire passer
ça comme note de frais du club de rugby.
Il rentre au gîte. A pied. Il va pas la prendre la BX, juste
la toute nouvelle carte grise à son nom. C’était pas une idée de génie
finalement. Il fait jour maintenant. Il se repère mieux. C’était pas à gauche
après le bar. L’était parti à l’opposé le garçon.
Le petit bonus de cette aventure, la pépite, la cerise sur
le gâteau : une fois arrivé, il va pouvoir se doucher. Enfin ! C’est
là qu’il réalise qu’un de ses potes a vomi dans son sac… sûrement une question
de karma…
Et c’est comme ça qu’il est devenu propriétaire d’une BX
pourrie dans la creuse.
Moralité : y en a pas !
Du bon sens : y en a pas non plus.
Les rugbymen n’ont aucune morale et ne sont pas toujours des
génies.
« Ce n'est pas parce qu'il est violent que j'aime le rugby. C'est parce qu'il est intelligent. » Françoise Sagan
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